« Nous avons tout perdu, tout ! » : au Liban, un peuple au bord de l’agonie

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La crise qui frappe le pays a précipité dans la pauvreté des centaines de milliers d’habitants, détruit l’économie et eu des conséquences dramatiques dans tous les secteurs.

Beyrouth (Liban), correspondance.

« Je sais maintenant ce qu’est la souffrance sans fin. » Elham, la cinquantaine, a la mine déconfite d’un soldat vaincu. Cette mère de trois enfants a brutalement basculé dans la précarité, comme des centaines de milliers d’autres personnes au Liban, frappé par l’une des pires crises au monde depuis le milieu du XIXe siècle, selon la Banque mondiale. « Nous avons tout perdu. Tout ! » s’écrie cette ex-cadre d’entreprise en écrasant une larme d’un geste nerveux.

Une inflation qui a atteint 120 % en un an
Les malheurs se sont abattus sur cette famille qui appartenait il y a encore un an et demi à la classe moyenne supérieure. L’agence d’organisation d’événements qui l’employait depuis douze ans a mis la clé sous la porte, comme des centaines d’autres entreprises qui n’ont pas résisté à l’effondrement économique qui met le Liban à genoux depuis octobre 2019. Son époux, comptable assermenté, a lui aussi perdu la plupart de ses clients. Le couple a vu son épargne amputée des deux tiers de sa valeur en raison de la crise qui frappe les banques, qui ont suspendu les retraits en devises et rationné les retraits en livres libanaises. « J’ai vendu mes bijoux pour payer nos traites. Nous avons résilié nos programmes de retraite contractés auprès d’une compagnie d’assurances et nous avons renoncé à envoyer notre fils poursuivre ses études à l’étranger faute de moyens. Tous les plans que nous avions faits ces vingt dernières années se sont évaporés », dit-elle d’une voix brisée.

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L’effondrement est total au pays du Cèdre. La monnaie nationale s’est dépréciée de 90 % face au dollar, provoquant une inflation qui a atteint 120 % en un an. Les prix se sont envolés, le pouvoir d’achat a fondu, le salaire minimum est passé de l’équivalent de 450 dollars par mois, en octobre 2019, à 35 dollars aujourd’hui.

Le travail des enfants a explosé
La crise a détruit des centaines de milliers d’emplois dans tous les secteurs, projetant dans la pauvreté 55 % de la population. Selon la Banque mondiale, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté extrême a triplé, passant à 23 %.

Les dérèglements ont touché tous les aspects de la société. Le travail des enfants a explosé, la malnutrition s’est étendue à de larges pans de la population, avec 30 % des enfants qui ont dormi le ventre vide en juin, selon un rapport de l’Unicef. « Nous ne mangeons plus de viande qu’une fois par mois, nous avons banni les fromages et les produits laitiers, se lamente Moustapha, enseignant du primaire dans une école privée. Mon salaire de deux millions de livres (1 300 dollars au taux officiel de 1 507 livres, 115 dollars au taux du marché noir) nous suffit à peine une semaine. »

Des aides complètement réduites, voire supprimées
Le régime des subventions des produits de première nécessité (nourriture, médicaments et carburant) mis en place par le gouvernement en mars 2020 a permis à une grande partie de la population de résister tant bien que mal aux effets de la récession, aggravée par la double explosion dévastatrice du port de Beyrouth, qui a fait 205 morts et plus de 6 500 blessés le 4 août 2020. L’argent envoyé par la diaspora a aussi joué un rôle important dans la riposte à la crise.

Mais les subventions ont été considérablement réduites ou totalement supprimées en raison de l’épuisement des réserves en devises de la Banque du Liban, qui fournissait des dollars aux importateurs au taux officiel de 1 507 livres.

Les subventions sont une arme à double tranchant. D’abord, tout le monde en profite, même les plus aisés. Ensuite, elles encouragent la contrebande vers la Syrie voisine, également plongée dans une situation dramatique notamment liée à l’embargo occidental et la loi César, promulguée par Donald Trump en juin 2020.

Privations et humiliations
La contrebande et le stockage pratiqués par des commerçants peu scrupuleux ont provoqué des pénuries de carburant, de médicaments et de produits alimentaires. Aux malheurs des Libanais s’ajoutent, depuis quelques semaines, les difficultés d’approvisionnement. « Nous pouvons supporter les privations, mais l’humiliation est difficile à accepter, s’insurge Amer, la cinquantaine. Je dois attendre pendant des heures pour remplir le réservoir de quelques litres d’essence qui me suffisent pour quelques heures de travail », ajoute ce chauffeur de taxi collectif, père de 6 enfants.

Des centaines de produits pharmaceutiques sont introuvables, dont des médicaments pour le traitement du diabète, de la tension artérielle, des maladies cardiaques, de la sclérose en plaques et du cancer. Aucun médicament n’a été importé le mois dernier et de nombreux produits sont en rupture de stock.

La vidéo d’un père de famille désespéré, qui a bloqué une route avec sa voiture dans la ville de Tripoli pour protester parce qu’il ne trouvait pas un médicament pour sa fille fiévreuse depuis six jours, a tourné en boucle.

Cela fait onze mois que les principales forces politiques ne parviennent pas à former un gouvernement en raison de querelles sur le partage des portefeuilles et la répartition des sièges au sein du cabinet.

La situation est d’autant plus absurde que la classe politique n’a pas abandonné ses vieilles habitudes malgré l’immensité de la tragédie qui secoue le pays. Cela fait onze mois que les principales forces politiques ne parviennent pas à former un gouvernement en raison de querelles sur le partage des portefeuilles et la répartition des sièges au sein du cabinet. Pourtant, la formation d’un gouvernement est une condition exigée par la communauté internationale pour débloquer une aide sans laquelle le Liban ne peut se relever.

« Tant que cette classe politique est en place, il n’y a pas d’espoir. Et ceux qui prétendent vouloir la remplacer ne sont pas d’une meilleure étoffe. La seule solution est de partir », affirme Amira, une étudiante.